Dans des groupes WhatsApp sont relayées deux vidéos montrant un accident de la route impliquant des militaires. Les deux vidéos dont l’une dure 30 secondes (ici) et l’autre 29 secondes (ici), semblent provenir d’une même vidéo originale. Elles sont accompagnées de la requête d’un internaute qui voudrait savoir si les événements se sont déroulés au Togo.
Deux vidéo, une seule source amateur…
En observant les deux vidéos, l’on remarque qu’il s’agit d’une vidéo amateur tournée avec l’application Snapchat, reconnaissable aux trois cœurs (bleu, vert, rouge) visibles dans la vidéo. Elle a été tournée par l’une des victimes de l’accident qui se montre à visage découvert et torse nu.
La vidéo montre un groupe d’hommes vêtus de treillis dans un endroit qui semble désertique et inhabité près d’une route. On y voit plusieurs personnes étendues au sol, près d’un camion militaire renversé, les quatre roues en l’air. À côté des armes, des bidons jaunes et une bouteille de gaz sont étalés au sol. Parmi les rescapés, certains s’activent pour porter secours aux blessés, dont certains se tordent de douleur.
Une vidéo, plusieurs interprétations
Une recherche inversée d’image avec une capture des vidéos nous a permis de retrouver la même vidéo, d’une durée de 1 minute 00 secondes, publiée le 22 juin 2023 sur le compte YouTube, Frontline Ambassador’s(ici). Elle est accompagnée du titre en anglais « BH AMBUSH MONGUNO SOLDIERS GOING TO Maiduguri around GAJIGANA ». De la traduction en français, on retient que selon l’auteur, la vidéo parle d’une embuscade tendue par BH aux soldats allant à Maiduguri près de Gajigana. (Capture d’écran ci-dessous)
La même version de l’histoire est retrouvée sous la vidéo publiée par d’autres internautes sur Youtube (ici), Twitter (ici) et Facebook (ici, ici) le 21 juin 2023. « BOKO HARAM AMBUSHED NIGERIAN SOLDIERS GOING TO MAIDUGURI AROUND GAJIGANA » ( En français : Boko Haram a tendu une embuscade aux soldats Nigérians allant à Maiduguri près de Gajigana). Ce qui nous permet d’en déduire que l’acronyme «BH» est utilisé pour désigner le groupe terroriste Boko Haram.
Et pourtant, d’autres publications de la même vidéo sur d’autres réseaux sociaux comme : LinkedIn (ici, ici) et Tik Tok (ici), laissent croire que la vidéo montrait un accident des soldats Nigérians allant attaquer le Niger, comme préconisé par la CEDEAO après le coup d’Etat contre Mohamed Bazoum. (Captures d’écran ci-dessus)
Ce qui s’est réellement passé
La recherche avec les mots clés a débouché sur un article publié le 22 juin 2023 par le site internet du quotidien nigérian, The Guardian. L’article (publié en anglais ici), évoque un accident impliquant 30 soldats nigérians à Borno, un État situé au nord-est du Nigeria et qui partage ses frontières avec le Tchad et le Niger. et non une embuscade de groupe Boko Haram comme affirmé par certains internautes.
« Les troupes de l’opération Hadin Kai ont été impliquées dans un accident lors d’une patrouille dans le nord de Borno. L’incident a été révélé dans un tweet de la Nigeria Television Authority (NTA). Le commandement du secteur 3 et de la Force opérationnelle interarmées multinationale (MNJTF) a confirmé que 30 soldats étaient impliqués dans l’accident. Cependant, il a été rapporté qu’aucun des 30 soldats impliqués dans l’accident n’a perdu la vie.», lit-on in-extenso dans l’article
Cette version des faits est également relayée par le média nigérian, The Chronicle dans sa publication en date du 22 juin 2023 (ici) et d’autres plateformes en ligne (ici). The Chronicle dément par la même occasion les allégations selon lesquelles le convoi aurait été attaqué par des éléments de Boko Haram.
Autres repères…
En visionnant la vidéo, on peut retrouver l’inscription MNJTF (Multinational Joint Task Force) au dos du tee-shirt de couleur kaki que porte l’un des hommes en uniforme secourant l’un des blessés. (Capture d’écran ci-dessous)
La MNJTF ou Force opérationnelle interarmées multinationale est une formation militaire combinée de 5 pays, notamment le Bénin, le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigéria. L’opération Hadin Kai (OPHK) mentionnée dans l’article est la nouvelle dénomination attribuée depuis avril 2021 par l’armée nigériane à l’opération Lafiya Dole (OPLD). Cette opération est menée dans le nord-est du Nigeria sous la coupole de la Force opérationnelle interarmées multinationale (MNJTF) afin de repousser la menace djihadiste et restaurer la sécurité dans la région. (1, 2, 3)
Une recherche sur le compte X (ex-Twitter) de la Nigeria Television Authority (NTA) que cite The Guardian comme source nous a permis de retrouver le tweet mentionné, mis en ligne le 22 juin 2023. Le tweet cite le Capitaine Babatunde Zubairu, Directeur adjoint par intérim des relations publiques, Secteur 3 de l’armée, OPHK/MNJTF.
Ce dernier confirme qu’il s’agit d’un accident de la route impliquant un camion transportant environ 30 soldats en patrouille depuis Baga dans le nord de Borno à Gajiram. Il précise qu’aucun soldat n’est mort tandis que ceux qui ont des blessures mineures reçoivent des soins à l’hôpital de la 7e division de Maiduguri.
Le tweet est illustré avec des images du véhicule accidenté en train d’être tracté, identique au même camion renversé visible dans les vidéos partagées sur les réseaux sociaux. L’une des photos d’illustration (Capture d’écran ci-dessus), porte les mentions de la date : 19 juin 2023, d’heure : 13h19 ainsi que les données latitude et longitude du point où la photo a été prise puis le nom de la localité : Route Gajiram-Bolori à Borno, que nous avons retrouvé sur une carte de la localité disponible via Google Maps.
Conclusion
Les événements des vidéos qui montrent un accident impliquant des militaires ne se sont pas déroulés au Togo. En réalité, les faits se sont déroulés dans l’Etat de Borno au Nigeria, et plus précisément dans la localité de Gajiram, le 19 juin 2023. Il s’agit de l’accident d’un véhicule de patrouille transportant une trentaine de soldats de la Force opérationnelle interarmées multinationale (MNJTF). Ni le Niger, ni Boko Haram n’ont été mentionnés dans les événements tels que tentent de le faire croire certaines publications sur les réseaux sociaux.
Article produit conjointement par Togocheck et NigerVerif, avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) dans le cadre d’un projet de jumelage entre initiatives francophones dans la lutte contre la désinformation.