D’après une vidéo relayée notamment sur WhatsApp, des gélules du médicament dénommé Dicynone contiendraient des clous. L’auteur de la vidéo, lance ainsi une alerte aux internautes, indiquant que les blancs voudraient exterminer la population africaine.
La vidéo en question
D’une durée de 1 min 31 secondes, la vidéo montre 3 gélules blanc-rouge ainsi qu’une boîte de médicament : Dicynone 500 mg, présentée dans un emballage de 20 gélules pour administration orale. On y entend des voix masculines et féminines. Mais, c’est la voix féminine qui s’exclame en premier : « Oh Seigneur, les gars faisons attention oh ! les plaquettes de médicaments qu’on achète là sont remplis de pointes… » Le relais est ensuite pris par la voix masculine. « C’est une réalité qui se passe actuellement en Côte d’Ivoire. Les blancs veulent nous tuer (…) », a-t-il déclaré entre autres. Il termine ses propos en invitant ceux qui verront la vidéo à la partager. (Capture d’écran)
Aucune information ne permet de déterminer avec exactitude qui s’exprime dans la vidéo. Mais leurs propos sont tenus avec un accent ivoirien qui permet de conclure d’entrée que les faits se déroulent en Côte d’Ivoire.
Ce n’est pas la première vidéo du genre à circuler sur internet. Précédemment, une autre vidéo, diffusée sur YouTube par le compte Nouveau Monde TV, fait croire également que des gélules d’Enterofuryl (Энтерофурил sur la boîte présentée dans la vidéo) contiennent des clous. (Capture d’écran ci-dessous)
Mise en ligne (ici) le 25 mars 2021 avec la description « Faîtes beaucoup attention aux faux médicaments… », la vidéo cumule 1 114 vues au 05 décembre 2022. Mais, plusieurs internautes qui ont commenté la vidéo restent perplexes quant à sa véracité.
Dicynone, ce qu’on en sait
Dicynone est un médicament hémostatique, un protecteur vasculaire et un antihémorragique. Il est produit par les laboratoires OM Pharma. Son principe actif est l’Etamsylate et ses autres composants principaux sont l’amidon de blé et sulfite de sodium.
D’après les descriptions du produit fournies par Vidal.fr, Dicynone est utilisé lors des troubles de la circulation veineuse liés à la fragilité des petits vaisseaux sanguins, les jambes lourdes, douleurs, crampes, certains troubles visuels d’origine circulatoire, les saignements gynécologiques dus à la fragilité des vaisseaux sanguins. Il est présenté sous forme de comprimés, gélules et sous forme injectable.
Le produit Dicynone, fabriqué en Suisse par OM Pharma, est distribué dans plusieurs pays dont la Côte d’Ivoire, d’où la vidéo a été faite et le Togo, entre autres, comme on peut le voir sur cette carte. « Doxium®, Doxiproct®, Doxiproct®Plus et Dicynone® ont tous été conçus par OM Pharma pour traiter les troubles vasculaires tels que l’Insuffisance Veineuse Chronique (IVC), les hémorroïdes, les microangiopathies, les hémorragies capillaires et les ménométrorragies, permettant à des millions de personnes de retrouver une certaine qualité de la vie. », peut-on lire sur le site de OM Pharma.
Une vidéo peu fiable
En regardant la vidéo, on se rend compte que le blister qui contient les médicaments est totalement utilisé. Les poches censées contenir les 10 gélules ont été toutes ouvertes, ce qui laisse comprendre que le produit a été utilisé par la patiente. Sur la table, on ne retrouve que 3 gélules dont 2 ouvertes et 1 encore intacte, 4 bouts de clous et un peu de poudre blanche qui laissent supposer qu’il s’agit du contenu des gélules.
Un autre élément qui fait planer le doute sur la véracité de l’information de cette vidéo est que les gélules ouvertes l’étaient déjà avant le début de la vidéo. Aucun blister ni gélule intacte n’a été ouvert au cours de la vidéo pour faire voir à ceux qui visionnent que le médicament contient réellement lesdits clous depuis l’usine de fabrication.
Par ailleurs, la vidéo n’a été tournée qu’avec l’unique paquet et l’unique blister posés sur la table. Enfin, d’après les recherches, aucune autre réclamation de ce genre n’a été faite sur les réseaux sociaux concernant le produit Dicynone.
Communiqué officiel des autorités pharmaceutiques ivoiriennes
Dès la publication de la vidéo, l’Autorité ivoirienne de régulation pharmaceutique s’est saisie du cas et après investigation a rendu public un communiqué y relatif le 27 novembre 2022, sur son site internet.
D’après le communiqué, la victime évoquée dans la vidéo est une résidente de Grobiakoko, qui a reçu un traitement à base de Dicynone 500 mg Gélules pour la prise en charge d’une hémorragie de la sphère gynécologique.
« Le mercredi 23 novembre 2022, au quatrième jour de son traitement, la patiente ressentant une douleur à la gorge, aurait ouvert une gélule dont elle aurait renversé le contenu dans un verre d’eau afin d’en faciliter la prise. C’est à ce moment qu’elle aurait constaté la présence de clous métalliques dans le contenu de la gélule. », poursuit le communiqué,
Tous les examens médicaux réalisés (radiographie, échographie, consultation chirurgicale, consultation ORL, laboratoire de biologie médicale) n’ont révélé aucune présence de corps métalliques dans l’organisme de la patiente.
Communiqué de l’Autorité ivoirienne de régulation pharmaceutique
Le jeudi 24 novembre, les deux boîtes et les clous sont retournés à la pharmacie de Lakota. Les auxiliaires de la pharmacie auraient à leur tour constaté la présence de clous dans deux autres gélules extraites de la première boîte, déjà entamée par la patiente. Un contrôle effectué sur la seconde boîte, également entamée par la patiente, n’a révélé aucune présence de clous dans les gélules inspectées. Une troisième boîte prélevée sur le stock de la pharmacie et testée intégralement par la pharmacienne, n’a révélé la présence d’aucun clou.
Toujours, d’après le communiqué officiel, « Tous les examens médicaux réalisés (radiographie, échographie, consultation chirurgicale, consultation ORL, laboratoire de biologie médicale) n’ont révélé aucune présence de corps métalliques dans l’organisme de la patiente.»
Aucun clou n’a été retrouvé dans les gélules inspectées suite aux prélèvements et contrôles effectués sur un échantillon représentatif lors d’une inspection diligentée par l’AIRP auprès des grossistes répartiteurs qui approvisionnent les officines de pharmacie. Enfin, un contrôle de I ‘AIRP sur les deux boîtes achetées par la patiente, la boîte contrôlée par la pharmacie et les clous présumés retirés n’a permis de retrouver aucun clou dans les échantillons qui n’avaient pas été ouverts.
Docteur NYASENU Yawo Tufa président de l’Ordre National des Pharmaciens du Togo, interrogé par la rédaction de Togocheck et FGI BÉNIN, affirme qu’au regard du processus d’essais et de contrôle que subissent les médicaments avant d’être mis sur le marché, il est impossible qu’une telle situation se produise. La matière première et les excipients du produit étant connus, on ne peut envisager la piste d’une erreur de fabrication.
Pour conclure
Au regard de ces informations, les preuves sont insuffisantes pour affirmer que les gélules de Dicynone montrées dans la vidéo contenaient vraiment des clous. De plus, l’affirmation selon laquelle les gélules du produit Dicynone contiennent des pointes de fer insérées depuis les lieux de fabrication pour tuer la population africaine, ne repose sur aucun fondement
Article produit conjointement par Togocheck et FGI-Bénin, avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) dans le cadre d’un projet de jumelage entre initiatives francophones dans la lutte contre la désinformation.
