Brigitte Adjamagbo-Johnson: « le problème togolais est que plusieurs pensent que la femme n’a pas sa place en politique »

Dans le cadre du Projet de recherches sur la désinformation basée sur le genre, mis en œuvre par Africa Women Journalism Project (AWJP) basée au Kenya et Togocheck, média de vérification de faits au Togo, nous avons interrogé Madame Brigitte Adjamagbo-Johnson, femme politique, militante des droits de l’Homme, coordonnatrice sous régionale de l’Afrique de l’ouest de WILDAF/FEDDAF (Women in Law and Development in Africa). Elle revient entre autres sur les défis, la parité genre en politique, la perception de la population des femmes politiques et les initiatives à mettre en place pour promouvoir les femmes en politique.

Togocheck: Quels progrès ont été réalisés dans la représentation politique des femmes au cours des dernières décennies ?

Brigitte Adjamagbo-Johnson: Sur le cadre juridique, le Togo a approuvé le principe de participation des hommes et des femmes dans la prise d’une décision et le principe de participation pariétaire comme le prévoit l’article 9 du protocole de Maputo. On a vu le régime en place adopter au lendemain de l’APJ de réformes qui prévoyaient que les femmes candidates à la législature payent la moitié de la caution fixée que payent les hommes pour les élections de 2007 et ce principe est effectif jusqu’à présent. Plus tard, il a été question de parité qui a été ajoutée au code électoral togolais. Mais, mais elle n’a jamais été appliquée parce que pour bon nombre d’entre eux, la prise de décision revient aux hommes, non pas aux femmes qui sont assignées aux tâches de reproduction et aux travaux domestiques.

Mais, la principale raison de la non-application des questions de parité est que nous sommes un pays non démocratique. Il y a un déficit démocratique qui rend le jeu politique togolais violent, de sorte que les femmes elles-mêmes préfèrent rester chez elles à la maison pour prendre soin de leur foyer et de leurs enfants. Aussi, est-il que la femme politique est perçue comme celle à la mœurs légère, qui est insoumise. En tenant compte des statistiques on est félicité mais les progrès à ce jour sont superficiels.    

Quels sont les principaux défis auxquels les femmes candidates font face lorsqu’elles se lancent en politique ?

D’abord il y a les défis culturels. Il y a aussi les défis financiers, la pauvreté, la question des inégalités d’accès aux ressources financières. On dira que la précaution a été prise en permettant à ces femmes de payer la moitié de la caution (caution dont la valeur a doublé par rapport à ce qu’elles payaient auparavant). Mais, après cela, qu’en serait-il de la campagne ? Les femmes doivent faire plus d’efforts pour se faire respecter, assumer leurs responsabilités sans aucun complexe et montrer qu’elles valent autant sinon plus que les hommes.

Comment les partis politiques peuvent-ils favoriser une meilleure représentation des femmes dans les instances de décision ?

Leurs nouveaux prétextes quand la question de la participation de la femme en politique se pose est :« où sont les femmes ? Donnez-les-nous, quand le jeu est violent vous parlez de la parité » alors que quand il s’agit du vote ou campagne, ils vont chercher des femmes de partout. La situation politique pour « moi en tant que chef de parti politique est complexe ». Il y a effectivement des femmes avec un background bien solide mais qui ne veulent pas s’engager en politique. J’ai fait l’effort d’insérer quelques-unes de mon côté mais j’avoue que nous sommes encore loin du compte. Vous ferez la remarque quand la liste électorale sera rendue publique que le parti au pouvoir s’est offert le monopole des femmes fonctionnaires sur les listes. Il faut que les partis politiques à travers leurs statuts, règlement intérieur et autres montrent qu’ils ont cette envie de promouvoir la femme et l’égalité des sexes. Quand on étudie les statuts des partis, très peu ont des textes faisant la promotion des femmes ainsi que le principe d’égalité entre hommes et femmes. Moi je l’ai fait dans mon parti. Il faut également lutter contre les stéréotypes, les violences (physique, morale, sexuelle…) et tout ce qui discrimine la femme. 

Est-il possible d’atteindre une parité de genre en politique au Togo ?

Nous sommes très loin de la parité. Les progrès que vous observez comme je l’avais dit sont superficiels. En termes de capacité de vraies femmes à influencer et prendre les décisions ce n’est pas encore ça. Il y a une femme à la tête du gouvernement et bien d’autres mais quelles marques ont-elles apporté à la gouvernance ?  On n’a jamais arrêté et détenu une femme de l’opposition dans ce pays mais cela s’est passé sous le mandat d’un gouvernement où les femmes prédominent.

Quelle est selon vous, la perception des Togolais des femmes politiques et leur accès aux postes de pouvoir ?

Je pense que la perception dominante est qu’une femme ne peut pas diriger un pays. La plupart, voit la femme comme une aide à l’homme en politique. Le comble est que la perception est la même  chez la femme. Mais il faut qu’elles prennent conscience pour qu’on déconstruise cela par l’éducation que nous donnons aux enfants. 

Le problème togolais est que plusieurs pensent que la femme n’a pas sa place en politique. Pour d’autres, les femmes politiques et ou celles du gouvernement se seraient vendues aux hommes politiques avant d’avoir leur poste.

Comment l’éducation et la sensibilisation peuvent-elles contribuer à encourager davantage de femmes à s’engager en politique ?

D’abord par des messages intéressants et percutants pour déconstruire le système patriarcal selon lequel la femme ne peut pas faire la politique ou prendre les décisions chez les femmes elles-mêmes, puis dans la société. Ensuite, on doit valoriser les nouvelles politiques féminines.   

Quels sont les avantages d’avoir une représentation équilibrée entre les sexes dans les institutions politiques ?

Pour une bonne prise de décision il faut qu’il y ait un équilibre d’apport des deux bords. Mais si la prise de décisions vient seulement de l’homme, on aura une société à tendance masculine ce qui va établir un système patriarcal qui considère la femme comme impuissante et limitée. Il faudrait aussi laisser les femmes prendre le relais de la gouvernance comme l’ont fait les hommes depuis toujours pour qu’on compare les résultats. Mais si les deux genres se mettent ensemble pour gérer les résultats seraient bien meilleurs et équilibrés de même pour les avantages. 

Quelles politiques publiques peuvent être mises en place pour promouvoir l’égalité des genres en politique ?

Créer un environnement favorable à l’émergence de la femme est une des politiques qui doivent être mises en place. L’État doit également faire des travaux en amont pour permettre aux femmes de se présenter aux élections.  Il revient à l’état de mettre en place sur les médias publics des programmes de sensibilisation sur les normes qui sont contraires à l’égalité entre homme et femme. Les ONG le font mais ne peuvent pas suppléer l’Etat, c’est une action qui doit être effectuée à l’échelle nationale. Il a même été dit de respecter la parité au risque du rejet des listes, cela n’a pas été respecté.  Promouvoir la femme ne se limite au fait de les nommer.

Comment les femmes politiques peuvent-elles être mieux soutenues pour surmonter les obstacles tels que le sexisme et le harcèlement ?

Les initiatives comme le projet de désinformation genrée de Togocheck sont les mieux placées. L’organisation féminine « les Negresses féminines » fait aussi un combat dans ce sens sur les réseaux sociaux. Il faut soutenir les femmes mais avec discernement parce qu’il y a de ces femmes qui décrédibilisent les travaux abattus par les féministes.

Selon vous, les Togolais connaissent-ils la désinformation liée au genre ? 

Les Togolais refusent de croire à la bonne information sur le genre parce qu’ils ont déjà une mauvaise perception de la chose. La culture traditionnelle amplifie la croyance aux désinformations sur le genre.  

Cet article est la première partie d’ une série d’ interviews de femmes engagées en politique et de la société civile sur la désinformation liée au genre.

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