FAUX : Le Togo n’a lancé aucune campagne de vaccination contre le paludisme

S’il est vrai qu’il y a une campagne pilote de vaccination contre le paludisme en cours dans certains pays d’Afrique, le Togo n’est pas concerné.

Une vidéo publiée sur TikTok puis diffusée sur WhatsApp, prétend alerter sur une campagne de vaccination contre le paludisme lancée au Togo sur approbation du gouvernement. Le but de cette campagne étant d’injecter des vaccins périmés aux populations africaines afin de leur nuire. Et pourtant, les informations données dans la vidéo sont trompeuses.

Itinéraire d’une fausse information

La vidéo parvenue à la rédaction de Togocheck a été publiée le 20 juillet 2023 sous forme d’un duo (ndlr : format par lequel un utilisateur de TikTok peut partager la vidéo d’un autre utilisateur en s’affichant à côté) par l’utilisateur Georgia Mercy. Sur une partie de l’écran, on peut voir une femme assise, ne disant rien et de l’autre côté, un homme portant une barbe et un bonnet et qui s’exprime en marchant.

Selon l’intervenant, la vidéo vise à alerter sur une campagne de vaccination antipaludique validée par le gouvernement togolais qui vise d’après lui uniquement à empoisonner les populations africaines.

 « Comme vous le savez depuis le début de la crise sanitaire, moi et le camarade Mohamed Konaré, nous avons toujours pris la parole pour alerter les populations africaines du danger qu’elles encourent en acceptant de se faire empoisonner par ces soi-disant produits que les occidentaux viennent déverser sur les populations africaines. », affirme-t-il.

Avant de poursuivre : « En ce moment au Togo, les gens se font vacciner contre le paludisme. Il n’y a pas de vaccin contre le paludisme en ce moment où je vous parle. Ce poison, ce projet que vous acceptez comme soi-disant vaccin contre le paludisme est en réalité un projet d’une fondation privée appartenant à Bill et Mélinda Gates en collaboration avec le laboratoire Target Malaria qui a pour objectif la stérilisation et la diminution de la population africaine. »  

La publication a récolté plus de 147 mentions J’aime, 23 commentaires, et 30 partages au 2 août 2023. (Capture d’écran ci-dessus)

Les premières observations faites lors du visionnage de la vidéo ont permis de constater que l’homme qui s’y exprime se nomme « Egountchi Behanzin » sur les réseaux sociaux. Après une visite sur ses différents comptes sociaux, on se rend compte qu’il a pour habitude de produire des vidéos similaires pour dit-il, « alerter les populations africaines. »

La vidéo originale dure 5 minutes 56 secondes. Nous l’avons retrouvée publiée le 10 juillet 2023 sur le compte TikTok kodj12dada Maria 12, dont l’historique des publications montre plusieurs vidéos de l’activiste. Par contre, nous ne l’avons pas retrouvée sur le compte TikiTok qui porte son nom (ici).

Au moment de la rédaction de cet article le 2 août 2023, cette vidéo cumulait 1912 mentions J’aime, 178 commentaires, et 1089 partages. (Capture d’écran ci-dessus)

Egountchi Behanzin, de son vrai nom Sylvain Afoua, est le fondateur de la Ligue de défense de l’Afrique noire (LDNA) en 2017. Il se présente comme un « activiste politique », un « combattant de la liberté » et un « révolutionnaire » en faveur du panafricanisme et de l’antiracisme.

Aucune campagne de vaccination contre le paludisme en cours au Togo

Selon Egountchi Behanzin, «il n’y a pas de vaccin contre le paludisme » et les vaccins utilisés au cours de cette campagne de vaccination sont des « poisons ». Mais, ces informations sont fausses.

Sur le site internet officiel (ici) et les autres comptes sociaux (ici) du Ministère de la Santé, de l’Hygiène Publique et de l’Accès Universel aux Soins, nous n’avons retrouvé aucune publication, note ou communiqué informant du lancement d’une quelconque vaccination contre le paludisme. Et pourtant, nous y avons retrouvé d’autres communiqués portant sur d’autres campagnes de vaccinations précédemment lancées. Aussi, après une recherche sur Google, aucun média national ou international n’a publié d’article sur le sujet.

Le chargé du programme prévention et contrôle de maladies au bureau de l’OMS au Togo, Docteur Kokou Mawulé Davi, joint le 24 juillet 2023, indique que les informations données par l’auteur de la vidéo sont fausses. D’après ses précisions, le Togo est dans le processus pour introduire la vaccination contre le paludisme.

Joint également le 24 juillet 2023, le conseiller en communication au ministère de la santé, Kaledjora Banassim répond à Togocheck que les informations diffusées par l’activiste sont fausses. « Il n’y a aucune campagne de vaccination contre le paludisme actuellement au Togo. Le Togo ne fait même pas partie des pays pilotes. Le Togo attend et étudie toutes les phases d’essais afin de déterminer s’il va opter ou non pour ce vaccin. » explique-t-il d’entrée.

Aussi, nous a-t-il précisé que « Le Ghana a déjà adopté ce vaccin et en fabrique localement. Il a déjà fait 02 tours de vaccination d’essai. Le Ghana, le Malawi et le Kenya ont déjà expérimenté ce vaccin dans la phase 1. Ils font partie des 11 pays de la phase 2. Le Togo n’en fait pas partie ».

La réalité sur les campagnes de vaccination contre le paludisme en Afrique ?

Le paludisme est une maladie grave et potentiellement mortelle, si elle n’est pas correctement prise en charge. Il est causé par le plasmodium falciparum. Il est transmis par les piqûres du moustique anophèle femelle. La maladie, selon l’ONG Médecins sans frontières, touche à 90% les femmes enceintes, les nourrissons et les enfants de moins de cinq ans.

Selon l’OMS, un enfant meurt toutes les deux minutes du paludisme dans le monde. Et plus de 260.000 enfants africains âgés de moins de cinq ans meurent du paludisme chaque année. Dans une documentation publiée sur son site internet le 29 mars 2023, l’OMS indique qu’en 2021 dans le monde, « on comptait 247 millions de cas de paludisme (…) » et que « le nombre estimé de décès imputables au paludisme s’est élevé à 619 000 en 2021 ».

Dans le cadre de ses efforts dans la lutte contre le paludisme, l’OMS a émis le 06 octobre 2021, une recommandation pour un déploiement massif du premier vaccin antipaludique chez les enfants vivant en Afrique subsaharienne et dans des zones à risque. Il s’agit du vaccin RTS,S/AS01 encore nommé “Mosquirix”,  fruit de 30 ans de recherche-développement menées par le laboratoire belge GSK (GlaxoSmithKline) avec l’appui des partenaires (…) « La recommandation est fondée sur les résultats d’un programme pilote en cours au Ghana, au Kenya et au Malawi qui a permis d’atteindre plus de 800 000 enfants depuis 2019.», indique l’OMS. (1, 2, 3, 4)

Des recoupements effectués sur les canaux officiels des différentes agences internationales de l’ONU (ici, ici, ici) et des médias d’informations (ici, ici, ici, ici), on retient que depuis 2019, une campagne pilote de vaccination contre le paludisme a débuté dans 3 pays d’Afrique, notamment le Ghana, le Kenya et le Malawi. Jusqu’en 2023, ce programme pilote a permis de vacciner « plus de 1,7 million d’enfants depuis 2019 ».         

Le vaccin s’étant avéré « sûr et efficace, entraînant une réduction substantielle des cas graves de paludisme et une diminution du nombre de décès d’enfants», « neuf autres pays, à savoir le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, le Libéria, le Niger, l’Ouganda, la RDC et la Sierra Leone [vont] introduire pour la première fois le vaccin dans leurs programmes de vaccination de routine», renseigne l’UNICEF dans un communiqué en ce sens rendu public le 5 juillet 2023 sur son site internet (ici). 

Ainsi, au total 12 pays sont concernés par la campagne de vaccination contre le paludisme en Afrique. Mais, le Togo n’en fait pas partie, contrairement aux affirmations de l’activiste.

Il n’y a pas qu’un seul vaccin contre le paludisme

Le vaccin RTS, S/ASO1 n’est plus le seul vaccin antipaludique en cours de test dans le monde. L’OMS indique (ici), qu’elle « examine un deuxième vaccin antipaludique : R21/Matrix-M (R21). Si son usage est recommandé, il pourrait aider à combler l’écart considérable qui existe entre l’offre et la demande et à réduire davantage la morbidité et la mortalité de l’enfant imputables au paludisme. »

D’après les sources concordantes consultées (ici,ici, ici, ici), le vaccin R21/Matrix-M (R21) est développé par l’Université d’Oxford avec le soutien du Serum Institute of India. Les données rendues publiques indiquent que ce vaccin affiche un taux d’efficacité de 77% après les essais pilotes. Il a également reçu l’autorisation d’utilisation de la Food and Drug Authority du Ghana, indique l’Université d’Oxford sur son site internet (ici).

L’artemisia meilleur remède contre le paludisme en Afrique ? Non       

Dans son message, Egountchi Behanzin recommande de refuser le vaccin et de se tourner vers l’artemisia, qui est selon lui, le meilleur traitement contre le paludisme en Afrique. Et pourtant, cette information est également erronée.

L’artemisia annua, de son nom en français, “armoise annuelle’’, est consommée sous forme de tisane. Même si c’est de cette plante qu’est extraite l’artémisinine, principe actif des principaux traitements antipaludiques utilisés elle ne fait pas partie des traitements contre le paludisme, recommandés par l’OMS. Et les raisons sont :

D’un, les tisanes à base de la plante d’artemisia peuvent être mal dosées en artémisinine en raison des facteurs comme l’espèce cultivée (l’artemisia est une famille de plus de 400 espèces différentes), l’environnement, le traitement post-récolte ou encore en raison de la faible solubilité et de l’instabilité de l’artémisine dans l’eau et à des températures élevées etc. Ce qui peut entraîner des échecs thérapeutiques dans certains cas, explique l’OMS.

« Afin de recevoir une dose équivalente à un comprimé ou à une capsule d’artémisinine à 500 mg, les patients devraient boire jusqu’à 5 litres de thé d’A. Annua par jour pendant au moins sept jours consécutifs ». Une posologie peu faisable dans la réalité, où les patients prennent plutôt autour d’un litre au quotidien, de ce thé, peut-on retenir des précisions de l’OMS citées par le site internet Sciences Avenir (ici),

De deux, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale en France (INSERM), explique que « Le traitement du paludisme recommandé par l’OMS repose aujourd’hui sur des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (CTA). L’idée est de combiner un dérivé de l’artémisinine, dont l’action pour éliminer les parasites est rapide et efficace, avec un médicament visant à prévenir leur recrudescence ».

De trois, « la méthode de préparation des tisanes et la dose de principe actif contenu dans celles-ci ne sont pas standardisées, et peuvent aussi varier d’un produit à l’autre. Si ces traitements peuvent donc améliorer les symptômes de certains patients, les doses non contrôlées et souvent insuffisantes peuvent conduire à un échec thérapeutique : tous les parasites ne sont pas éliminés, la maladie peut réapparaître. », précise l’INSERM.

Amalgames sur le “projet Target Malaria” et le rôle de la fondation “Bill et Melinda Gates”

Un autre élément que l’activiste pointe du doigt est que le « vaccin contre le paludisme en réalité est un projet d’une fondation privée appartenant à Bill et Mélinda Gates en collaboration avec le laboratoire Target Malaria qui a pour objectif la stérilisation et la diminution de la population africaine. »

Cette affirmation rejoint plusieurs autres du même type qui ont fait florès dans les sphères complotistes et anti-vaccins lors des campagnes de vaccination contre la Covid-19 dans les années 2020-2021.

En effet, la fondation Gates a un poids considérable au sein de l’Organisation mondiale de la santé. La fondation soutient à travers des financements, des programmes de santé de son choix, comme la vaccination. Elle finance également des recherches technologiques parfois hybrides pour procéder au suivi de vaccination dans les pays les plus pauvres, renseigne le journal Le Monde. Et ces interventions valent à la fondation Gates des critiques sur son dessein de vouloir contrôler la population mondiale ou encore réduire les populations africaines.

Mais plusieurs de ces théories, notamment celles qui se sont propagées en masse lors de la pandémie de la Covid-19 ont été démenties par plusieurs médias de vérification de faits (ici, ici, ici, ici).

Déjà en 2008, Bill Gates avait annoncé lors du Sommet sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement des Nations Unies sur le paludisme « que la Fondation Bill & Melinda Gates verserait 168 millions de dollars US au PATH pour son Malaria Vaccine Initiative, en vue du développement de vaccins contre le paludisme», peut-on lire dans un communiqué de presse en date de septembre 2008 et publié sur le site de la fondation.

Enfin, le projet Target Malaria dont parle l’activiste dans ses propos est une expérience de dissémination à petite échelle de moustiques mâles stériles génétiquement modifiés sans impulsion génétique dans le village de Bana, au Burkina Faso. Elle a été menée le 1er juillet 2019 en collaboration avec l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS) sur approbation de l’agence nationale de biosécurité (ANB) du Burkina Faso.

L’expérience, explique Target Malaria, a permis de  lâcher « environ 6 400 moustiques mâles stériles génétiquement modifiés sans impulsion génétique de l’espèce Anopheles gambiae et environ 8 500  moustiques non modifiés » puis de les capturer à nouveau afin de faire un suivi. Elle devra permettre « de recueillir d’importantes données pour faire avancer la recherche ».  

L’expérience n’a donc rien à voir ni avec le Togo, ni avec la vaccination contre le paludisme en cours dans certains pays d’Afrique. Elle ne vise pas non plus à empoisonner les populations africaines comme tente de le faire croire l’activiste Egountchi Behanzin.

Pour conclure

Les propos de l’activiste Egountchi Behanzin diffusés sur les réseaux sociaux sur une campagne de vaccination contre le paludisme en Afrique sont trompeurs.

S’il est vrai qu’il y a une campagne pilote de vaccination contre le paludisme en cours dans certains pays d’Afrique, le Togo n’est pas concerné. De plus, dans sa vidéo, l’activiste a ressuscité des théories anti-vaccins sur la fondation de Bill Gates qu’il a mélangé avec des informations biaisées d’une expérience menée au Burkina-Faso afin de discréditer cette campagne de vaccination contre le paludisme menée depuis 2019.

Total
0
Shares
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site est protégé par reCAPTCHA et le GooglePolitique de confidentialité etConditions d'utilisation appliquer.

The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.

Related Posts