Les propos tenus sur le soja dans cette vidéo sont  trompeurs !

D’une part, l’affirmation selon laquelle le soja est destiné aux animaux est fausse. D’autre part, il n’existe pas de preuve que le soja cause le cancer ou des tumeurs chez ceux qui consomment ses produits dérivés.
Soja / Illustration

À en croire un homme intervenant dans une vidéo de 3 min 23 sec, partagée sur WhatsApp, le soja est uniquement destiné à la consommation des animaux. D’après lui, le soja est un tueur silencieux qui cause tumeurs et cancers. Il est donc à éviter car dangereux pour la santé de l’Homme. 

Pourtant, les usages du soja pour la consommation humaine sont répandus tant dans nos sociétés africaines qu’ailleurs comme en Asie, en Europe ou encore Amérique, que ce soit sous forme d’huile, de lait ou encore d’autres produits dérivés. Ses propos rejoignent un débat de longue date sur les médias et réseaux sociaux sur la nocivité du soja. Mais, qu’en est-il réellement ? La rédaction de Togocheck et FGI-Bénin démêle le vrai du faux de ses propos. 

A propos de la vidéo

La vidéo montre un homme vêtu de blanc, dans une pièce sur fond banc et rouge. La présentation de la vidéo laisse déduire qu’elle a été enregistrée lors d’une interview ou d’une session de visioconférence via Zoom. Par ailleurs, en bas de la vidéo, on peut voir mentionné le nom de l’intervenant : «Dr. Jean Paul Yao AMEGAN». (vidéo ci-dessous)

Vidéo (portion) relayée sur WhatsApp

Selon les propos de l’intervenant, «…le soja c’est pour les animaux (…) tout le soja et tous les dérivés, c’est pour les animaux, si vous ne voulez pas avoir des tumeurs et des cancers évitez-le (…) Le soja c’est l’un des tueurs silencieux qu’on nous vend comme on vend tout le reste. (…)Tout ce qui est soja est à éviter. si vous êtes malade c’est encore pire, je pèse mes mots. »

Les recoupements effectués grâce aux outils de recherche ont révélé que la vidéo diffusée sur WhatsApp n’est qu’une portion (De 25 min 30 sec à 28 min 49 sec.), d’une vidéo plus longue de  1h 57 min 49 sec, titrée «Leaders Training ; Réapprendre à manger pour retrouver et conserver sa santé». La vidéo a été enregistrée lors d’une visioconférence sur Zoom diffusée en ‘’Facebook Live’’ le 8 février 2023 sur le compte Facebook, Global G+ Sarl. Sur ladite page, on retrouve plusieurs autres vidéos enregistrées avec  Docteur Jean Paul Yao AMEGAN comme intervenant principal.

Dans son intervention, Docteur Jean Paul Yao AMEGAN indique à son auditoire entre autres que les habitudes alimentaires actuelles de l’homme, notamment le fait de cuire les aliments détruisent sa santé. D’après lui, la meilleure option pour être en bonne santé, est de manger des aliments crus ou cuits à la vapeur douce, de proscrire la viande, le sucre et les boissons sucrées ainsi que les produits laitiers, d’éviter le soja, privilégier les fruits etc.

Docteur Jean Paul Yao AMEGAN, l’auteur des propos

D’après différentes sources concordantes (1, 2, 3, 4), Jean Paul Yao AMEGAN est présenté comme un médecin thérapeute, tradithérapeute ou tradipraticien, herboriste, naturopathe togolais. Diplômé de l’Université de Lomé et après des études aux USA, il s’est installé au Sénégal où il exerce depuis 2016. Très actif sur les réseaux sociaux, son compte Facebook est alimenté régulièrement avec des sujets relatifs à la politique, la santé et l’histoire. 

D’autres sources (ici, ici, ici) indiquent également que Docteur Amegan Yao Jean-Paul est un médecin controversé. Il a d’ailleurs été mis aux arrêts le 31 juillet 2019 au Sénégal pour exercice illégal de la profession.

Le soja, une légumineuse à double faces ! 

Le soja est une légumineuse de la famille des Fabaceae tout comme le haricot ou les pois. A l’état naturel, les graines de soja sont enfermées dans des gousses qui poussent sur des arbustes. Elles contiennent 20 % d’huile et 40 % de protéines. 

D’après le Figaro santé (ici, ici), et une documentation publiée sur le site internet de Healthline.com, le soja constitue aussi un ingrédient clé de nombreux aliments japonais traditionnels : farine de soja, lait de soja, tofu, tonyu, huile de soja. Ses propriétés nutritionnelles et technologiques fonctionnelles sont utilisées pour la fabrication de produits de boulangerie, de crèmerie, de plats préparés, de laits infantiles…» et ses produits sont généralement riches en protéines, fibres, vitamines, minéraux et antioxydants.

En Afrique, notamment au Togo et au Bénin, le soja fait partie intégrante de l’alimentation tant des hommes que des animaux. Des filières entières se sont développées autour de sa culture et de sa transformation. Sur les marchés, on retrouve plusieurs produits : fromage, viande, lait, biscuits et autres produits destinés à la consommation humaine. Aussi, le soja ou les produits issus de sa transformation (soja torréfié, tourteaux ou copeaux) sont effectivement intégrés dans la composition des aliments pour des animaux d’élevage : bétail, volailles, etc.

Mais, les graines de soja, en raison de leur pellicule qui contient des composés antinutritionnels (ndlr : notamment l’acide phytique qui séquestre le phosphore, les facteurs antitrypsiques ou les lectines qui ont une activité hémagglutinante), doivent être obligatoirement traitées par broyage ou cuisson avant la consommation, au risque de créer des indigestions chez l’homme et les animaux. 

Rustique Akodogbo, agroéconomiste, conseiller en entreprise chez SENS Bénin, a indiqué à la rédaction de Togocheck et FGI-Bénin que « Le soja comporte plusieurs atouts nutritionnels car il renferme beaucoup de protéines et de lipides. Mais, (…) le soja renferme beaucoup de facteurs antinutritionnels qu’on retrouve au niveau de la pellicule et qui, lorsque le soja est mal préparé (traité) entraîne des troubles de la santé ».

« Lorsque vous récoltez le soja et que vous le mettez dans un endroit exempt d’humidité, il reste intact, sans courir le risque d’être attaqué par les insectes, les charançons etc. La raison est que, la coque du soja est très dure et la pellicule qui la recouvre contiennent des facteurs antinutritionnels qui confèrent au soja sa toxicité. Et pour que la consommation du soja ne soit plus toxique, il faut enlever au maximum ces facteurs antinutritionnels qui se retrouvent au niveau de la pellicule », précise l’agro économiste.

Il ressort des recoupements que le soja a été intégré dans l’alimentation humaine depuis des millénaires, notamment en Chine bien avant de l’être chez les animaux. De plus, sans traitement adéquat, la graine de soja n’est comestible ni pour les hommes, ni pour les animaux en raison des facteurs anti-nutritionnels qu’il contient.

Le soja, un aliment uniquement destiné aux animaux : Faux 

D’après Docteur Amegan, le soja est un aliment pour les animaux.  « (…) je vous le dis et je le répète, le soja c’est pour les animaux et il n’y a personne sur terre qui cultive le soja et qui ose dire que c’est pour les humains. Tous marquent c’est pour les animaux, c’est pour les animaux.», a-t-il affirmé.

Et pourtant, d’après plusieurs sources consultées par la rédaction de Togocheck et FGI-Bénin, cette affirmation n’est pas exacte. Puisque, même s’il est vrai que la majorité du soja est destinée à la transformation pour nourrir les animaux d’élevage, il est certes utilisé dans l’alimentation humaine. De plus, le soja est quasi omniprésent dans l’alimentation humaine sous forme d’huile et autres produits dérivés, en plus d’être utilisé pour l’alimentation animale.

Infographie sur l’utilisation mondiale du soja réalisée par “Our World in Data” avec des données compilées de 2017 à 2019

D’après les données (ici, ici), la production mondiale de soja est utilisée à la fois pour l’alimentation humaine, même s’il s’agit de proportions relativement faibles et pour l’alimentation animale. « Le soja, en Chine, (…) est utilisé dans la production d’huile de soja, de produits à base de soja fermenté traditionnels, de sauce de soja et – principalement – de tourteau de soja pour l’alimentation du bétail ». Par ailleurs, plus des trois quarts (77 %) du soja mondial sont destinés au bétail pour la production de viande et de produits laitiers (…) seulement 7% du soja (mondial) est utilisé directement pour les produits alimentaires humains».

Le soja ou ses produits dérivés ne sont donc pas uniquement destinés à l’alimentation animale comme tente de le faire croire  Docteur Jean Paul Yao AMEGAN dans son intervention.

Risques de tumeurs et cancer, les preuves sont insuffisantes pour conclure

Il ressort des recoupements que le soja présente quand-même quelques risques pour la santé. En effet, certaines personnes peuvent développer une allergie aux protéines que contiennent les produits dérivés du soja. D’autre part, les recherches montrent que « le soja contient des isoflavones, des substances actives sur le plan hormonal». Mais à ce jour, aucune étude n’est arrivée à prouver avec certitude que ces isoflavones causent le cancer.

D’après l’ingénieur agro économiste Koffitsè KPOGLI, directeur général de SAM TOGO, entreprise spécialisée dans la production et la commercialisation du soja, la variété de soja utilisée dans l’élevage intensif des animaux est majoritairement génétiquement modifiée et impropre à la consommation humaine. Or le Togo ne cultive pas ce type de soja appelé soja OGM et n’ en importe pas non plus, parce que la loi l’interdit. Aussi, précise-t-il, que le soja cultivé au Togo respecte toutes les normes de qualité et que s’il est bien traité, sa consommation modérée ne cause pas de dommages à la santé. 

D’autre part, comme l’explique Rustique Akodogbo, « c’est la dose qui fait le poison », car puisque le soja est très riche en protéines, lorsque vous abusez d’un tel produit, il causera des indigestions. « Mais de là, dire que le soja est toxique et qu’il ne faut pas en manger, non. Même pour les animaux, le soja peut se révéler toxique à cause de ces facteurs antinutritionnels. C’est pourquoi même quand on veut donner du soja aux animaux, il faut procéder à sa torréfaction (…) qui permet de briser les chaînes de facteurs antinutritionnels qui se retrouvent au niveau de la pellicule de la graine.», a-t-il ajouté.

Dans son intervention, Docteur. Jean Paul Yao AMEGAN n’appuie ses propos avec aucune donnée scientifique. Et pourtant, des études (ici, ici) sont parvenues à la conclusion que la consommation des dérivés du soja a des effets bénéfiques sur la santé de l’Homme voire sur la récupération face à certains cancers.

L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), estime que les consommateurs devraient éviter de cumuler différentes sources de phyto-estrogènes, par exemple plusieurs aliments dérivés du soja, en particulier si leurs teneurs en phyto-estrogènes ne sont pas identifiées, et d’éviter les compléments alimentaires à base de soja car leurs bénéfices et l’absence de risques n’ont pas été démontrés. « Si vous avez un cancer du sein, les suppléments alimentaires d’isoflavones ne sont pas recommandés », ajoute William Helferich. « Cependant, la consommation de soja à partir d’aliments entiers est sans doute sans danger ».

Bouraima Mouawiyatou. Chef Division de la Nutrition au Ministère de la santé du Togo, explique que « Notre collègue exagère un peu. C’est vrai que le soja ne doit pas se consommer en l’état mais après transformation car il contient en l’état des substances antinutritives. C’est vrai aussi que le soja contient des phyto-œstrogènes qui peuvent perturber le système endocrinien quand c’est consommé régulièrement surtout chez les enfants. Mais en général la consommation modérée de soja n’a pas de problèmes, surtout pas les problèmes auxquels notre collègue fait allusion. »

Pour la Diététicienne nutritionniste, Aurélie Guerri, intervenant dans une vidéo publiée en 2021 par Doctissimo, site web francophone consacré à la santé et au bien être, c’est toujours l’excès qui est néfaste. «Une consommation normale de produits contenant du soja est bénéfique pour la santé cardiovasculaire et la diminution des cancers hormono-dépendants. », indique-t-elle.  

Pour conclure …

D’une part, l’affirmation selon laquelle le soja est destiné aux animaux est fausse. D’autre part, il n’existe pas de preuve que le soja cause le cancer ou des tumeurs chez ceux qui consomment ses produits dérivés. De plus, le Docteur Jean Paul Yao AMEGAN dans son intervention n’a apporté aucune preuve scientifique pour soutenir ses affirmations dans la vidéo partagée sur les réseaux sociaux. 


Article produit conjointement par Togocheck et FGI-Bénin, avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) dans le cadre d’un projet de jumelage entre initiatives francophones dans la lutte contre la désinformation.

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