Aucune preuve pour le moment sur une nouvelle monnaie du Mali, du  Burkina Faso et du Niger en remplacement au Franc CFA

Cette image et les publications qui laissent croire qu’une nouvelle monnaie a été créée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, membres de l’Alliance des Etats du Sahel sont des affirmations mensongères.

Une image massivement relayée sur TikTok depuis la fin d’année 2023 (ici, ici et ici) laisse croire que le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont créé une nouvelle monnaie pour remplacer le franc CFA. L’image montre une pile de papiers ressemblant à des billets de banque disposés au centre d’une salle où on aperçoit plusieurs personnes parmi lesquelles des hommes en tenue militaire et d’autres en costume. En arrière-plan figure le drapeau du Mali. 

Sur l’une de ces publications, on peut lire sur l’image relayée: « Hum petite photo comme ça qui cause tremblement de terre chez Yao CEDEAO », et en bas de l’image, on voit une bannière rouge portant le logo de la chaîne BBC sur laquelle on peut lire: « présentation de la nouvelle monnaie du Mali, du Burkina Faso et du Niger ». 

Cette publication qui cumule plus d’un million de vues à la date du 11 janvier a été aimée plus de 54 000 fois et partagée plus de 5 600 fois. 

Capture d'écran de l'image
Capture d’écran de l’image

L’information a été également reprise sur Youtube par la chaîne Génération consciente africaine

Pourtant selon les recoupements effectués, l’Alliance des Etats du Sahel (AES) qui regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger envisage de créer une monnaie commune, mais le projet n’a pas encore vu le jour. 

Une image qui date de 2021

Une recherche inversée d’image dans Google montre que l’image en question a été utilisée depuis 2021, par plusieurs médias pour illustrer des articles, entre autres TV5 Monde le 25 octobre 2021 et le magazine Jeune Afrique en date du 24 décembre 2021. Selon la légende qui l’accompagne, l’image a été prise par le photographe Harandane Diko lors d’une réunion à Bamako, au Mali, le dimanche 24 octobre 2021. La réunion s’est tenue entre le président malien de la transition, le colonel Assimi Goita et une mission du Conseil de sécurité des Nations Unies dirigée par l’ambassadeur du Kenya auprès des Nations Unies, Martin Kimani.

Capture d'écran du magazine Jeune Afrique
Capture d’écran du magazine Jeune Afrique

Des recherches sur Harandane Diko indiquent qu’il est d’origine malienne et travaille dans plusieurs structures européennes dont le quotidien en langue allemande Der Landbote, à Winterthour en Suisse en 2002, le Centre d’Enseignement Professionnel CEPV de Vevey en Suisse en 2007 et la Cité Internationale des Arts de Paris en 2008.

Cette même image a été utilisée dans un reportage de Radio France Internationale publié sur Youtube le 25 octobre 2021, avec ce titre « Mali : rencontre entre les autorités maliennes et la délégation du Conseil de sécurité de l’ONU ». La vidéo est suivie de la description suivante: « Les membres de la délégation onusienne ont rencontré notamment le président de la transition, le colonel Assimi Goïta et des membres de la société civile, ainsi que des représentants des groupes armés impliqués dans le processus de paix. De leur côté, les émissaires de l’ONU ont fait passer des messages »

On la retrouve également dans une courte vidéo de 38 secondes publiée le 25 octobre 2021 par l’Agence France Presse sur son compte Youtube avec la description suivante : « La délégation du Conseil de sécurité de l’ONU rencontre le président de transition du Mali, le colonel Assimi Goïta. Les représentants de l’ONU sont au Mali pour faire pression sur les autorités afin qu’elles permettent à un pouvoir civil de prendre le relais, après deux putschs en neuf mois dans ce pays en proie aux violences jihadistes et intercommunautaires »

Aussi, le 24 octobre 2021, les Nations-Unies sont revenues sur cette rencontre à travers un article titré « Mali : au terme de ses rencontres à Bamako, le Conseil de sécurité se dit encouragé par les progrès et attend la fin de la transition »

Image manipulée… 

L’image originale utilisée par ces médias cités plus haut date donc de 2021; cependant, elle ne contient pas ces piles de billets assemblées comme le montre l’image partagée sur tik tok. Tout porte à croire que l’image véhiculée sur les réseaux sociaux a été manipulée. 

Une analyse approfondie de cette image en question, à l’aide de l’outil de vérification Invid, et Fake Image Detector laisse apparaître des imperfections qui confirment d’ailleurs ce constat.  

Vérification faite avec l'outil de détection d'images manipulées Fake Image Detector
Vérification faite avec l’outil de détection d’images manipulées Fake Image Detector

Par ailleurs, des vérifications sur le site internet de la chaîne BBC au cours de la période d’octobre 2021 n’ont abouti à aucune publication mentionnant une présentation de la nouvelle monnaie des pays de l’Alliance des Etats du Sahel. 

Naissance de l’idée de création d’une monnaie commune 

L’idée de création d’une monnaie commune pour les trois Etats du Sahel, notamment le Mali, le Burkina Faso et le Niger a été évoquée au cours de la première réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Alliance des Etats du Sahel, tenue les 30 Novembre et 1er Décembre 2023 à Bamako. La déclaration sanctionnant cette rencontre a été publiée le 1er décembre 2023 sur la page Facebook du Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du Mali. Au cours de la réunion, les ministres de l’Economie et des Finances ont recommandé la création d’un fonds de stabilisation et d’une banque d’investissement de l’AES, mais aussi la mise en place d’un comité chargé d’approfondir les réflexions sur les questions de l’union économique et monétaire. 

L’Alliance des Etats du Sahel née à la suite de la signature de la Charte du Liptako-Gourma le 16 septembre 2023 veut, à travers ce projet de monnaie commune, garantir la souveraineté économique de ses Etats membres. 

L’Alliance ambitionne également de lutter pour l’intégrité territoriale de ses Etats membres.   « Par la présente charte, dénommée charte du Liptako-Gourma, les parties contractantes instituent entre elles, l’Alliance des Etats du Sahel (AES) […] Toute atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties et engagera un devoir d’assistance et de secours de toutes les parties », avait déclaré le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, le 16 septembre 2023 à Bamako. 

La monnaie du Sahel, un projet diversement accueilli 

L’idée de création de la monnaie commune du Sahel est diversement appréciée sur le continent. Pour certains analystes, le projet favorisera la souveraineté des Etats. 

« Nos pays ont compris qu’ils n’ont pas le choix. Rappelez-vous la réunion entre Ouattara, Macron et le ministre des Affaires étrangères du Nigéria. A la sortie de la réunion, Macron disait qu’il n’y aura pas de négociation avec le Niger tant que Bazoum n’était pas libéré. Vous voyez à quel point c’est lui qui tirait les ficelles. La monnaie, c’est un instrument de souveraineté et tant que tu ne gères pas ta monnaie, tu n’es pas souverain », affirme Issoufou Boubacar Kado, politologue et analyste des finances publiques dans un article publié par le média en ligne Le 360 Afrique. 

L’idée est également bien accueillie par l’économiste Hamballi Dodo qui soutient que « c’est une belle opportunité pour ces trois pays et cela représente plusieurs avantages socio-économiques ». 

Par contre, pour d’autres observateurs comme l’économiste Mao Makalou, le projet n’est pas simple à réaliser. « La production de monnaies dépend de l’économie. C’est une économie saine qui peut produire une monnaie saine. En créant la monnaie, on ne résout pas le problème d’économie. La monnaie, c’est un instrument d’échange. Elle émane de la confiance. Elle doit pouvoir assurer sa stabilité et le pouvoir d’achat des citoyens. C’est le rôle des banques centrales d’assurer cette stabilité des prix », souligne t-il. 

Il recommande une politique monétaire efficace, « parce que c’est la banque centrale qui est chargée de l’émission monétaire et est chargée aussi de gérer la liquidité de la masse monétaire mais aussi la politique des taux d’échanges. C’est-à-dire, le prix de la monnaie à une autre monnaie. Cela dépend de ce que ces trois pays vendent à l’extérieur et de ce qu’ils achètent »

Les pays de l’AES doivent ainsi améliorer leurs facteurs de production, parce qu’ils achètent beaucoup plus à l’extérieur qu’ils ne le vendent, baisser leur coût de crédit et surtout mieux financer leurs économies nationales. « Il faut aller vers une plus grande transformation de nos produits en produits semi-finis et finis avant de les vendre à l’extérieur », ajoute l’économiste. 

Pour conclure… 

Cette image et les publications qui laissent croire qu’une nouvelle monnaie a été créée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, membres de l’Alliance des Etats du Sahel sont des affirmations mensongères. L’image d’origine a été prise le 24 octobre 2021 au Mali bien avant la création de l’Alliance des Etats du Sahel et de son projet de création d’une monnaie commune du Sahel.

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