Une vidéo de 5 minutes 35 secondes partagée dans des groupes WhatsApp, fait croire que l’OMS et l’ONU encouragent l’enseignement de la masturbation et de la pornographie aux enfants dans les écoles maternelles et primaires. Et pourtant, il s’agit d’une information déformée.
A propos de la vidéo et son origine
Une recherche inversée d’une capture d’image de la vidéo a permis de constater que la vidéo qui nous est parvenue n’est qu’une portion d’une version plus longue, de 10 minutes 24 secondes. Intitulée « OMS et ONU-Pédophiles ne touchez pas aux enfants », elle a été publiée le 29 juillet 2023 sous les allures d’un journal télévisé sur le média complotiste en ligne suisse germanophone, kla tv.
La recherche inversée d’images a également permis de constater que cette vidéo est reprise en entier ou tronquée par des internautes sur diverses plateformes en ligne comme Youtube, X (ex-Twitter) entre autres (ici) .
kla.tv est un média qui publie régulièrement du contenu à caractère complotiste. Il se présente comme un média qui veut passer outre le mensonge des médias et rétablir la vérité. Et pourtant, au fort de la Covid-19, plusieurs de ses allégations ou informations ont été démenties par des organismes de vérification de faits à travers le monde, et même par l’équipe de Togocheck (dans cet article).
Pédophile : accusations sur l’OMS et l’ONU
Dans cette vidéo, les auteurs disent se baser sur plusieurs documents :
Le premier est celui dénommé « Standards pour l’Éducation sexuelle en Europe ». Ce document publié par l’OMS, indique à en croire leurs propos, les pratiques et informations sexuelles entre autres à enseigner aux enfants de 0 à 12 ans dans les écoles.
« Le document Standards pour l’Éducation sexuelle en Europe » publié par l’OMS contient les instructions suivantes pour les écoles maternelles et primaires :
Les enfants de 0 à 4 ans doivent apprendre la masturbation et développer un intérêt pour leur propre corps et celui des autres. Les enfants de 4 à 6 ans doivent apprendre la masturbation et être encouragés à exprimer leurs besoins et leurs désirs sexuels. Les enfants âgés de 6 à 9 ans doivent être informés sur les rapports sexuels, la pornographie en ligne, l’amour en cachette et l’autostimulation. Les enfants âgés de 9 à 12 ans doivent faire leurs premières expériences sexuelles et apprendre à utiliser la pornographie en ligne.
L’OMS donne pour instruction aux enseignants du monde entier d’expliquer aux enfants de 9 ans comment avoir leur premier rapport sexuel, comment faire l’expérience de relations sexuelles grâce à Internet et aux téléphones portables et comment apprendre différentes techniques sexuelles. », affirme la vidéo
L’autre source de leurs propos, sont des allégations du média en ligne stopworldcontrol. Ce dernier, classé d’ailleurs comme média conspirationniste et complotiste d’après l’observatoire du conspirationnisme, « Conspiracy Watch », a publié un rapport (ou plutôt un long article ) titré “Les écoles doivent équiper les enfants pour qu’ils aient des partenaires sexuels – disent l’ONU et l’OMS”. D’après cet article, l’Organisation Mondiale de la Santé et les Nations Unies sexualisent les petits enfants de l’enseignement primaire dans le monde entier, dans le but de normaliser la pédophilie.
« L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les Nations unies (ONU) donnent pour instruction à toutes les écoles maternelles et primaires du monde d’enseigner la masturbation aux jeunes enfants.
Ils conseillent aux enfants d’utiliser la pornographie et distribuent des affiches dans les écoles encourageant les enfants à avoir des relations homosexuelles avec leurs camarades de classe. Des livres recommandés expliquent aux jeunes enfants ce qu’est le sexe oral. Ce sont les mots d’introduction d’un rapport très complet de la plate-forme Internet Stop World Control [www.stopworldcontrol.com/children/], intitulé : « Les enfants devraient avoir des partenaires sexuels – L’agenda des Nations unies pour normaliser la pédophilie ». », indique la vidéo dans ses premières secondes.
La vidéo cite également le document intitulé « Principes directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité » publié en janvier 2018 par les institutions des Nations Unies, notamment l’UNESCO, ONUSIDA etc. et dont nous avons eu sur Internet, une copie en français.
Mais, s’il est vrai que toute la documentation citée existe bel et bien, les dérives qui leur sont attribuées sont juste des déformations et des hors-contextes.
Que dit le document de l’OMS incriminé
Grâce à une recherche avec les mots clés sur Google, nous avons retrouvé le document original de 73 pages titré « Standards pour l’éducation sexuelle en Europe », publié par l’OMS et le Centre fédéral allemand pour l’éducation à la santé (BZgA) en 2010 ainsi que sa version résumée de 13 pages. Il contient des directives données aux différents acteurs pour l’éducation sexuelle des enfants dans la zone Europe. Et en observant les illustrations dans la publication du site internet stopworldcontrol, on se rend compte que c’est la version originale en anglais avec les surlignages qui a été utilisée. (Capture d’écran ci-dessous)
D’après le document que nous avons lu, le but visé par ces standards est de prévenir les effets potentiellement négatifs de la sexualité et améliorer la qualité de vie, la santé et le bien-être. De plus, le document précise les types de thématiques à aborder avec les enfants en fonction de leur tranche d’âge et de leur niveau.
Lors du visionnage de la vidéo, notre rédaction s’est rendue compte que plusieurs passages du document de l’OMS cités sont sortis de leurs contextes, des propos sont déformés et des termes non utilisés dans les documents ont été ajoutés pour détourner le sens des informations fournies dans les documents officiels.
C’est le cas notamment des affirmations comme : « Les enfants de 0 à 4 ans doivent apprendre la masturbation et développer un intérêt pour leur propre corps et celui des autres. Les enfants de 4 à 6 ans doivent apprendre la masturbation et être encouragés à exprimer leurs besoins et leurs désirs sexuels. Les enfants âgés de 6 à 9 ans doivent être informés sur les rapports sexuels, la pornographie en ligne, l’amour en cachette et l’autostimulation. Les enfants âgés de 9 à 12 ans doivent faire leurs premières expériences sexuelles et apprendre à utiliser la pornographie en ligne. », attribuées à l’OMS. Des termes n’ont pourtant pas été utilisés ainsi dans le document.
Quid du document de l’ONU ?
L’un des exemples de détournement se trouve dans la vidéo au temps : 04 min 09 secondes. D’après le document des Nations Unies, « L’éducation complète à la sexualité (ECS) (…) vise à doter les enfants et les jeunes de connaissances, d’aptitudes, d’attitudes et de valeurs qui leur donneront les moyens de s’épanouir – dans le respect de leur santé, de leur bien-être et de leur dignité –, de développer des relations sociales et sexuelles respectueuses, de réfléchir à l’incidence de leurs choix sur leur bien-être personnel et sur celui des autres ».
Et pourtant, dans la vidéo qui circule, il est seulement mentionné que « L’objectif de ce document est décrit à la page 16 : Il vise à donner aux jeunes enfants les moyens d’avoir des relations sexuelles. » Ce qui est FAUX. En coupant ainsi la phrase originale, l’auteur de la vidéo lui attribue un sens erroné.
« J’ai consulté personnellement les directives de l’OMS. Et dedans, elle n’y a jamais encouragé à la masturbation ou l’homosexualité. »
Docteur Kokou Mawulé Davi, chargé du programme Contrôle des maladies infectieuses à l’OMS au Togo
Il en est de même pour la page 17 du document des Nations Unies dans lequel il est mentionné que « L’ECS est un enseignement dispensé dans les contextes formels et non formels qui est : (…) À même de développer les compétences pour la vie courante nécessaires à l’appui de choix sains : cela inclut la capacité de réfléchir et de prendre des décisions éclairées, de communiquer et de négocier efficacement, ainsi que de faire preuve de fermeté. Ces compétences peuvent aider les enfants et les jeunes à nouer des relations respectueuses et saines avec les membres de leur famille, leurs pairs, leurs amis et leurs partenaires romantiques ou sexuels. »
Et pourtant, dans la vidéo, il est affirmé que « À la page 17 du document, les Nations unies expliquent que ce guide vise à aider les jeunes enfants à établir des relations amoureuses ou sexuelles avec des partenaires. » Une affirmation également fausse. (Capture d’écran ci-dessus)
La vidéo cite également la Page 71 (page 84 dans la version française du document), où il est supposément dit que « (…) les enseignants sont invités à enseigner aux jeunes enfants, à partir de 5 ans, les baisers, les câlins, le toucher et les comportements sexuels. Les enfants de 9 ans devraient recevoir un enseignement sur la masturbation, l’attirance sexuelle et la stimulation sexuelle. »
Des affirmations qui n’ont aucun lien avec les propos réellement tenus dans le document où il est au contraire écrit « (…) expliquer que l’on peut manifester son amour et son affection à une autre personne de différentes façons, notamment en l’embrassant, en l’étreignant, en la touchant, et parfois en ayant des comportements sexuels (connaissance). »(Capture d’écran ci-dessus)
Au regard de ces recoupements, on se rend compte que les propos tenus dans les documents originaux ont simplement été détournés afin de leur donner des sens et significations erronés.
Les avis de l’OMS
Dans la Foire aux questions sur le sujet mis à jour le 18 mai 2023, l’OMS indique sur son site internet, que l’éducation à la sexualité ne fait pas la promotion de la masturbation. Il précise que « Les principes directeurs des Nations Unies sur l’éducation à la sexualité visent à aider les pays, les praticiens et les familles à fournir aux jeunes des informations exactes et actuelles sur leur sexualité, qui soient adaptées à leur stade de développement ».
Pour leur part, les Nations Unies à travers l’UNESCO dans ses Principes directeurs internationaux sur l’éducation sexuelle indiquent qu’elles encouragent la mise en œuvre d’une éducation sexuelle complète de qualité afin de promouvoir la santé et le bien-être, le respect des droits humains et l’égalité des genres. Mais, d’après ce document (ici), il n’est question nulle part d’enseigner ni la masturbation, ni la pornographie aux enfants.
Interrogé sur le sujet, Docteur Kokou Mawulé Davi, chargé du programme Contrôle des maladies infectieuses à l’OMS au Togo, a rejeté ces informations qu’il a qualifiées de fausses. « J’ai consulté personnellement les directives de l’OMS. Et dedans, elle n’y a jamais encouragé à la masturbation ou l’homosexualité. », a-t-il affirmé.
Abordant le sujet de la masturbation chez les enfants, Mayo Clinic sur son site internet explique qu’il s’agit d’une activité naturelle d’observation. « Vers l’âge de 3 ou 4 ans, les enfants se rendent souvent compte que les garçons et les filles ont des organes génitaux différents. À mesure que la curiosité naturelle se manifeste, vous pourriez surprendre votre enfant à jouer au « docteur » ou à examiner les organes sexuels d’un autre enfant. Une telle exploration est très éloignée de l’activité sexuelle adulte et est inoffensive lorsque seuls de jeunes enfants sont impliqués. »
L’information selon laquelle l’ONU et l’OMS encourageraient l’enseignement de la masturbation et de la pornographie aux très jeunes enfants fait florès sur les réseaux sociaux depuis 2018, notamment depuis la publication des directives de l’OMS sur l’éducation à la sexualité. Différents organismes de factchecking se sont d’ailleurs penchés sur la questions dans divers articles (ici, ici, ici, ici)
En clair…
L’OMS et l’ONU n’encouragent aucunement l’enseignement de la masturbation, de la pornographie ou encore de la pédophilie aux enfants de maternelle et primaire, contrairement à ce que tentent de faire croire des vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux.
Ces organisations donnent uniquement des directives à tous les acteurs concernés, dont les enseignants et les décideurs sur l’enseignement de l’éducation sexuelle aux enfants selon leur âge afin qu’ils aient une santé sexuelle et de reproduction saine.
Article produit conjointement par Togocheck et NigerVerif, avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) dans le cadre d’un projet de jumelage entre initiatives francophones dans la lutte contre la désinformation.
